mercredi 17 septembre 2008

Place de la didactique dans l'anglistique



Place de la didactique dans l’anglistique
Claire Tardieu
IUFM de Paris - Paris 4

[Dans le cadre de la Journée d’étude : Caractéristiques et fonctions de la didactique de l’anglais, qui s'est tenue à l'IUFM de Paris, le 12 Septembre 2008.]

Le thème de cette table ronde est la place de la didactique dans l’anglistique et en effet l’objet de notre journée est de montrer que les recherches actuelles en didactique non seulement n’échappent pas à ce domaine mais peuvent s’y ancrer ou s’en affranchir. Affaire de place, de territoire, d’identité, donc.
Le problème qui se pose d’abord est la définition de l’anglistique qui n’est pas si simple qu’il y paraît. Ensuite, il s’agit de s’interroger sur une didactique ancrée dans l’anglistique : quels sont ses champs de prédilection, ses territoires, ses relations de vassalité ou d’indépendance, ses alliances possibles, ses ambitions expansionnistes….
La réflexion qui va suivre s’inscrit dans un mouvement dynamique et portera d’abord sur le domaine de l’anglistique proprement dit propice à un certain type de recherche en didactique de l’anglais, puis sur la soumission de ce domaine à la force de pôles ou de sites complexes favorables à d’autres types de recherche peut-être, enfin, sur la prise en compte incontournable des autres langues et de l’international.

Une didactique ancrée dans l’anglistique
Bandry cite trois champs traditionnels de l’anglistique : linguistique, littérature, civilisation (Bandry, 2001). Cazade ajoute l’anglais de spécialité (Cazade, 2000) mais que fait-on de la traduction, ou de la phonologie ? On a l’habitude d’inclure la phonologie dans le champ de la linguistique, mais quid de la traduction ?
Il est intéressant de noter que pour Guillaume (2007), la didactique partage avec la traduction cette difficulté à n’habiter qu’un territoire, à se situer à l’intérieur d’un seul de ces champs de manière exclusive, d’où peut-être l’absence de lisibilité de nos travaux qui paraissent déracinés en quelque sorte. Mais cette difficulté est aussi un atout au sens où la didactique possède le don d’ubiquité, peut se situer à l’intérieur de tous ces champs et même de celui de la traduction. Sa place est tout autant à la racine de ces arbres de plusieurs espèces qui poussent dans le sol de l’anglistique qu’au faîte de la forêt. Elle est fille de l’humus et de la canopée.

Du côté des racines et de l’humus.
Le concept de transposition didactique développé par Chevallard (1985) et repris par Deyrich pour l’enseignement-apprentissage de l’anglais, permet de s’interroger sur les finalités et les modalités de l’enseignement de la littérature, de la civilisation, de la linguistique, de la phonologie, de la traduction, etc., et ce, aux différents niveaux du cursus.
Par des recherches théoriques, elle peut s’intéresser par exemple en linguistique à ce qui peut être appris par automatismes (formulaic speech) par opposition à ce qui doit être nécessairement construit (Gaonac’h, 2006), en particulier à l’école primaire. Ou encore, se demander pourquoi et comment étudier la poésie (Thomières, 1995) à différents moments du cursus, en s’efforçant de nourrir la réflexion des praticiens.
Elle sera menée par des didacticiens spécialistes de ces champs, de préférence.

Du côté de la canopée…
Un champ d’investigation complexe
Complexité des pôles
La didactique de l’anglais peut aussi dégager ses propres thématiques de recherche à partir de l’anglistique. Un positionnement épistémologique est alors nécessaire. On distingue souvent la didactique des chercheurs de la didactique institutionnelle (D. Bailly, 1998). La didactique institutionnelle, tributaire du politique, ne se situe pas totalement en dehors de la didactique des chercheurs qui l’inspire. Le champ de la didactique recouvre plutôt des pôles ou des « sites » complexes pour reprendre la terminologie de Zaoual (2006) qui offrent chacun de nombreuses possibilités de recherche de types variés (expérimentale, action, développement, descriptive) :
- un système éducatif (cursus, niveaux, politiques éducatives, programmes, modes d’évaluation, certifications), à la fois héritier d’une tradition et cherchant à s’intégrer dans l’Europe.
Ce pôle se prête en particulier à des recherches descriptives. A titre d’exemple, les évaluations nationales en langues et notamment en anglais menées par la DEPP[1] et réitérées à intervalles réguliers sont ainsi susceptibles de fournir un grand nombre de données permettant de faire des comparaisons longitudinales, de mesurer l’impact des réformes successives sur l’enseignement de l’anglais, ou encore l’évolution des représentations des élèves et des professeurs sur cette langue et son enseignement (questionnaires de contexte)
- Les pratiques de classe et leurs représentations :
Des recherches expérimentales peuvent viser à démontrer qu’une pratique a plus d’effet qu’une autre en termes d’apprentissage. Le chercheur pourra encore s’attacher aux écarts entre les pratiques observées et les discours sur les pratiques. Ainsi, un étudiant de master 2
a-t-il pu montrer à partir d’observations des interactions orales en classe d’anglais à l’école primaire que les représentations des enseignants de la part respective des deux langues (L1/L2) ne correspondaient pas au pourcentage réel (d’après enregistrement). On pense aux travaux de Castelloti.
- La société environnante (multiculturalité, crises, attentes, etc.)
Des recherches peuvent porter sur l’impact de la prise en compte plus ou moins grande du plurilinguisme des apprenants sur l’apprentissage de l’anglais, le bien-fondé des attentes sur l’enseignement de l’anglais (avec la problématique actuelle du globish et la formule provocatrice de Paikeday (1985) « The native speaker is dead »), enfin sur l’exposition à l’anglais dans la société et la place des médias dans l’apprentissage.
- La recherche dans les sciences contributoires
La didactique des chercheurs dans le domaine de l’enseignement des langues et des cultures fait appel à de nombreuses sciences contributoires – outre la linguistique, la psycho- et sociolinguistique, on peut citer l’anthropologie, l’ethnologie, la sociologie, les sciences cognitives et les neurosciences qui viennent ouvrir des questionnements nouveaux.
Ce sont ces sciences qui ont fait évoluer les programmes et dont on retrouve des traces, le plus souvent non référencées (cf Chini, 1996) dans les textes officiels, le Cadre européen (Coste, 2001), etc.

Des forces en tension
Mais ces pôles doivent aussi être envisagés comme des forces en tension, ce qui démultiplie encore le champ des possibles.
On citera en exemple les travaux de Lüdi (2002) qui recommandent d’apprendre en premier une langue 2 voisine de la L1 (en termes linguistiques ou sociologiques, ce qui n’exclut pas les démarches liées au plurilinguisme) en opposition avec la demande sociale et sa réponse politique qui imposent l’anglais à tous.
Autre exemple : La volonté politique de mieux s’insérer dans l’Europe en adossant les programmes au Cadre européen dans une perspective d’apprentissage par la tâche (Ellis, 2003) et un mode d’évaluation (le baccalauréat) qui conserve sa forme traditionnelle formatant en amont des pratiques de classe orientées vers le texte. On retrouve ici la problématique choisie par LILT pour le prochain quadriennal :
Discours/discourse

Didactique des langues et dimension internationale
Les recherches en didactique ancrées dans l’anglistique peuvent également s’unir à des travaux similaires menés sur d’autres langues. On obtient alors des recherches comparées sur un domaine d’enseignement particulier, par exemple : la phonologie.
Cette sphère des langues que l’on pourrait appeler la « languistique » offre un terrain privilégié pour les travaux interlangues déjà présents en formation des maîtres, les travaux sur le plurilinguisme (Candelier, 2001), (Coste, 2002, et le Conseil de l’Europe, 2001), sur la compétence commune de communication (Cummins, 2005 ), sur la didactique des langues en général, rejoignant ainsi les grands courants anglo-saxons (Widdowson, 2002, Ellis, 2003).
On soulignera aussi l’importance de la dimension internationale et en particulier européenne de la recherche en didactique des langues. Les travaux du Centre Européen des Langues Vivantes fournissent un vivier d’expérimentations réalisées et potentielles impliquant 33 nations européennes. Ce pôle est particulièrement propice à la recherche-action ou développement.

Pour conclure, on peut imaginer que le développement des recherches didactiques au sein de l’anglistique viendra enrichir la didactique des langues qui à son tour peut nourrir une didactique ancrée dans l’anglistique.


Bailly, D., (1998) Didactique de l’anglais, objectifs et contenus de l’enseignement, Paris, Nathan Pédagogie.
Bandry, M, Maguin, J.-M., (2001) (textes recueillis par) La contradiction. Actes du congrès de la Société des anglicistes de l’enseignement supérieur
Cazade, A., (2000) Recherche-développement en didactique multimedia de l’anglais, dossier de synthèse pour l’habilitation à diriger des recherches, sous la direction de M. le Professeur Jean-Louis Duchet, Université de Poitiers.
Centre Européen pour les Langues Vivantes/European Center for Modern Languages, http://www.ecml.at/
Chevallard, Y., (1994) Les processus de transposition didactique et leur théorisation, la transposition didactique à l’épreuve, Eds Arsac, G. et al, Grenoble, La pensée sauvage.
Candelier, M., (2003) L’éveil aux langues à l’école primaire –Evlang : Bilan d’une innovation européenne, Bruxelles, De Boeck, coll. Pratiques pédagogiques.
Chini, D., (1996) Quelques aspects de la problématique linguistique de l’enseignement de l’anglais dans le secondaire. Evolution historique des textes officiels et courants actuels, thèse de doctorat sous le direction de Madame le Professeur Danielle Bailly, Université de Paris 7, soutenue le 14 décembre.
Coste, D., (2002) « Compétence à communiquer et compétence plurilingue », in Notions en questions n°6, Lyon, ENS editions, 115-123.
Coste, D. et al., (2001) Cadre européen commun de référence pour les langues : apprendre, enseigner, évaluer, Conseil de l’Europe.
Cummins, J. (2005) “Teaching for Cross-Language Transfer in Dual Language Education: Possibilities and Pitfalls”, TESOL Symposium on Dual Language Education: Teaching and Learning Two Languages in the EFL Setting, Bogazici University, Istanbul, Turkey.
Ellis, R., (2003) Task-based Language Learning and Teaching, Oxford, Oxford University Press.
Gaonac’h, D., (2006) L’apprentissage précoce d’une langue étrangère, le point de vue de la psycholinguistique, Paris, Hachette.
Guillaume, A., (2007) « La traduction : théories et pratiques, diachronie et synchronie, TICE ou non TICE ? », Texto ! juillet 2007, vol. XIII, n°3.
Lüdi, G., (2002) « Les langues vivantes et les questions géopolitiques en Europe » in Apprendre des langues étrangères : quelles langues et pour quoi faire ?, Les Rencontres de la Desco. http://www.eduscol.education.fr/
Paikeday, T.M., (1985) The Native Speaker Is Dead ! , Toronto, Paikeday Publishing.
Thomières, D., (1995) « Lire et construire: quelques propositions de recherche en didactique de la littérature » in A. Cain, C. Briane, Quelles perspectives pour la recherche en didactique des langues? Compte rendu de la journée d’étude du 17 mars 1994, INRP, 25-30.
Widdowson, H.G., (2002) Aspects of Language Teaching, Oxford, Oxford University Press (1ère publication 1990).
Zaoual, H., (2006) « Développement, organisations et territoires : une approche sud-nord », in Croissance et développements, n°24, 2, 9-40. http://www.cairn.info/revue-innovations-2006-2.htm




[1] Division de l’Evaluation, de la prospective et de la performance, ministère de l’éducation nationale.

Vive les langues!

Vive les langues !

Claire Tardieu
Professeur
IUFM de Paris-Université Paris 4

« Moi, quand j’entends quelqu’un parler anglais ou allemand à la radio, je tourne le bouton ». Cette remarque d’un auditeur sur une radio nationale prête à sourire : un papy franchouillard brandissant le génie de sa langue pourtant constituée d’une multitude d’autres langues[1] comme le drapeau national. Rien de grave.
Selon le linguiste américain, Jim Cummins (1997 : XI), le président Reagan considérait en 1981 qu'une éducation bilingue était "totalement erronée et contraires aux valeurs américaines".
Moi qui ai été élevée au biberon de la langue française dans une famille monolingue persuadée, en toute bonne foi, que la France était un pays évidemment monolingue, comment pourrais-je ne pas comprendre un tant soit peu les propos de Ronald Reagan ? N’y a-t-il pas en moi un parfum républicain pour me bercer de l’idée que le pays, c’est la langue, du moins la mienne ? Que le tissu social, les valeurs, l’unité nationale sont tenus par la langue et que tout irait à vau l’eau si l’on oubliait notre héritage napoléonien, et le combat mené par l’école à ses plus belles heures de normalisation linguistique ? Et d’ailleurs cela ne se fait pas d’insérer une citation en langue étrangère de but en blanc dans un texte…
Sans doute tout cela est-il bien ancré en moi, en nous, dans une sorte de représentation collective, de champ idéologique incontesté.
Mais, raisonnablement, je ne puis souscrire aux propos de l’historien A. Schlesinger Jr affirmant que "le bilinguisme ferme des portes" tandis que "l'éducation monolingue ouvre les portes du vaste monde". Cette fois, la contradiction est flagrante. Comment le monolinguisme pourrait-il ouvrir les portes du vaste monde, sauf à ériger sa propre langue—en l’occurrence l’anglais américain—comme langue mondiale, au risque de la voir se dissoudre dans l’informe « globish » ? En 2005, Paul Ricœur évoquait « l’incommunicabilité des monades » pour suggérer la difficulté de la communication humaine entre locuteurs d’une même langue. Si l’on songe que 70% des échanges actuels en anglais sont le fait de locuteurs allophones, on peut s’interroger sur le niveau d’intercompréhension réalisé dans ce qui n’est certainement pas la langue de Shakespeare… Les auteurs du Cadre Européen Commun de Référence en Langues placent au niveau du locuteur expérimenté (C1 ou C2) la compétence de communication qui permet de comprendre ou d’exprimer un point de vue ou un argument avec nuance et finesse. Croire à l’anglais international revient à donner un blanc-seing à une élite linguistique, en l’occurrence les locuteurs « natifs », et à leur accorder en quelque sorte le dernier mot. Contre cette injustice en marche, le Conseil de l’Europe préconise l’apprentissage de deux langues étrangères par tout citoyen européen, et développe résolument ses activités de médiation (traduction et interprétariat) qui permettent à chacun de s’exprimer dans sa langue et d’être compris dans toute la complexité de son propos. Sauf à penser que les besoins en communication de l’ « Homo sapiens-demens » comme le nomme Edgar Morin se réduisent à l’achat de sexe ou de nourriture, on doit se réjouir de cette orientation européenne qui, au-delà des deux langues officielles que sont le français et l’anglais, et des trois autres langues utilisées en conférences (allemand, italien, russe) défend plus de 40 langues-cultures sans hiérarchie de valeur. Des chercheurs européens du Centre Européen des Langues Vivantes ont même dénombré 438 langues en Europe, comprenant les différentes langues des signes, les langues sans territoire, les langues des migrants (Guillaume, 2007).
Rappelons que le Conseil de l’Europe, créé le 5 mai 1949 et dont le siège est à Strasbourg, s’est donné pour but de favoriser en Europe un espace démocratique et juridique commun, organisé autour de la Convention européenne des droits de l'homme et d'autres textes de référence sur la protection de l'individu. Il mène des activités de promotion de la diversité linguistique et de l’apprentissage des langues dans le domaine de l’éducation dans le cadre de la Convention culturelle européenne, ouverte à la signature le 19 décembre 1954, et aujourd’hui ratifiée par 49 états. L’article 2 de cette Convention appelle les états signataires à promouvoir l’enseignement et l’apprentissage de leurs langues réciproques :
Chaque Partie contractante, dans la mesure du possible,
a. encouragera chez ses nationaux l'étude des langues, de l'histoire et de la civilisation des autres Parties contractantes, et offrira à ces dernières sur son territoire des facilités en vue de développer semblables études, et b. s'efforcera de développer l'étude de sa langue ou de ses langues, de son histoire et de sa civilisation sur le territoire des autres Parties contractantes et d'offrir aux nationaux de ces dernières la possibilité de poursuivre semblables études sur son territoire.
Ce soutien à la pluralité des langues et des cultures se concrétise par l’emploi de nombreux traducteurs et interprètes, conformément au mot d’Umberto Ecco : « La langue de l’Europe, c’est la traduction ». D’ailleurs, Xavier North (2006), délégué général à la langue française et aux langues de France, l’affirme lui-même : « Il ne faut pas croire que face aux avantages économiques de la langue unique, le français se sauvera seul ». Notre pays l’a bien compris, qui s’efforce d’introduire l’apprentissage des langues étrangères de plus en plus tôt dans le cursus, déplore ses mauvais classements internationaux, et lance, en 2005, un plan de rénovation des langues qui devrait nous mettre sur les rails du Cadre Européen Commun de Référence en Langues. Ne sommes-nous pas cependant divisés intérieurement, schizophrènes des langues étrangères en quelque sorte ?
D’un côté, nous aimerions parler les langues, avoir ce don qui nous semble refusé d’emblée (toutes les langues ne sont pas égales en termes de fréquences sonores et l’oreille des bébés se referme sur la langue qu’elle entend, développant une plus ou moins grande « surdité » aux autres langues, comme l’a montré Alfred Tomatis) ; nous sommes prêts à faire des efforts tant intellectuels que financiers, par des séjours, des stages en tous genres, des cours onéreux garantissant le succès ou le remboursement des frais engagés ; de l’autre, nous redoutons de perdre notre francophonie, notre identité nationale, notre identité tout court, cet « ego langagier » sécurisant pour reprendre le concept de Guiora (1984) sans parvenir, après des années d’études couronnées de succès, à lever tout à fait cette inhibition : même les professeurs de langue entre eux n’osent pas parler la langue étrangère… (Derivry-Plard, 2003).
Pourtant, comme le rappelle Pierre Bange (2005), l’apprentissage d’une langue est affaire de cognition et d’action et s’inscrit dans une dialectique de la pensée et de l’agir.
Sommes-nous vraiment voués à cette pratique silencieuse, à ce plurilinguisme un peu honteux, au pays de la langue unique, là où d’autres Européens, pour des raisons tout aussi historiques, manient couramment plusieurs langues ?
C’est oublier qu’une personne sur quatre dans notre pays utilise quotidiennement une autre langue que le français, y compris les langues régionales, que nous ne sommes pas si monolingues qu’il y paraît… Allons donc, balivernes, nous qui qualifions encore de patois des langues régionales reconnues par la communauté européenne, avons les oreilles écorchées par les langues de l’immigration—talents brisés des jeunes beurs, déni des cultures familiales, langues dévalorisées dans la hiérarchie sociale, trésor linguistique jeté au rebut, par ignorance, par bêtise, par sénilité spirituelle, à contre-courant de tous les efforts menés par l’Europe en la matière, de toutes les études.
Et vogue la France monolingue, je veux parler de la France des médias, celle qui formate l’intelligence actuelle des Français bien plus que l’école.
Il n’y a pas si longtemps encore, une radio nationale diffusait en été des journaux en langues étrangères : ces journaux n’ont plus cours. La télévision, y compris sur les chaînes du câble, offre désormais un doublage quasi systématique, et l’on a vu disparaître les émissions d’apprentissage des langues. Or, la loi de 1963 est formelle : la télévision est faite pour éduquer et distraire.

Le service public pourrait présenter des programmes de sélection des méthodes d'apprentissage des langues sur Internet, orienter les gens vers des langues plus diversifiées, proposer des cours attrayants ; en bref, jouer un rôle d’information et de défense des usagers, comme le préconise un rapport sur l’enseignement des langues à l’école primaire émanant de chercheurs de la SAES[2].
Le panel des langues étrangères accessibles dans les médias devrait être élargi (pour éviter le culturellement tout anglais ou tout américain) et favoriser l’ouverture des Français à d’autres cultures.
Un débat national pourrait voir le jour autour de la question du doublage systématique des films. Oui, Mesdames et messieurs qui êtes nous-mêmes, et qui aimons bien voir notre petit film du dimanche soir ou notre série préférée sans nous fatiguer à lire, eh bien, des sous-titres il faudrait en mettre dans toutes les émissions, pour les malentendants, pour les personnes qui apprennent notre langue, pour les touristes, les enfants de l’école primaire, avec un carré en langue des signes par-dessus le marché, des sous-titres, on devrait en avoir partout, et pas seulement sur quelques chaînes confidentielles, certains soirs, selon le bon vouloir de la télécommande, comme à la dérobée.
La salle de classe, c’est la société civile dans son ensemble. Croyons-nous vraiment que l’école puisse nous offrir un bain quotidien de langue étrangère ? Bien sûr, on y apprend les bases, on se met à la balado-diffusion, au « laboratoire nomade », au travail coopératif, aux partenariats et aux nouvelles technologies, on utilise même la langue étrangère, parfois, dans certaines classes chanceuses, pour enseigner l’histoire ou les mathématiques et c’est très bien, mais combien de temps par semaine ? Alors, sortons les langues des disciplines de l’école, aérons-les, mettons-les au vert ou sur les bancs de la place publique, promenons-les aux cafés-tandems (échanges linguistiques en binômes), offrons-leur des méthodes diverses et multiples, où l’on chante, où l’on danse, où l’on raconte des histoires, à toute heure du jour et de la nuit, sur le petit écran, à la radio, pour les retraités, les enfants, les ménagères, et j’en passe. Et cessons de doubler Marlon Brando, ou Hanna Schygulla - on n’a jamais doublé les Beatles ni Cesaria Evora, que je sache ! Et, comment font les gens dans les pays qui n’ont pas les moyens de s’offrir le doublage ? Ils se coltinent les films en V.O., les pauvres, et leurs enfants nous doublent dans les évaluations internationales… Et dans cinq ou dix ans, ils nous doubleront en matière d’emploi parce que ce n’est pas seulement l’anglais qu’ils parleront…
Nous, adultes au pouvoir, à la langue étrangère bredouillante et à la vie quasi-vécue, voulons-nous vraiment claquer la porte des langues au nez de nos jeunes générations ?

Références bibliographiques et sitographiques :
Bange, P., en collaboration avec R. Carol et P. Griggs, L’apprentissage d’une langue étrangère, Cognition et interaction, L’Harmattan, Paris, 2005.
Cadre Européen Commun de Référence pour les Langues, Conseil de l’Europe, Didier, 2001.
Centre Européen des Langues Vivantes, http://www.ecml.at/
Conseil de l’Europe, http://www.coe.int/DefaultFR.asp
Coste, D., (dir.) Vingt ans dans l’évolution de la didactique des langues (1968-1988), LAL, Credif, Hatier/Didier, Paris, 1994.
Cummins, J., Corson, D., (eds) Encyclopedia of Language and Education, Volume 5 : Bilingual education, University of Toronto, Canada, Kluwer Academic Publishers, Dordrecht/Boston/London, 1997.
Derivry-Plard, M., Les enseignants d’anglais « natifs » et « non-natifs ». Concurrence ou complémentarité de deux légitimités, Thèse de doctorat sous la direction de Mme le Professeur Geneviève Zarate, Université de Paris III Sorbonne nouvelle, 2003.
Galisson, P., Coste, D., Dictionnaire de Didactique des Langues, Hachette, 1976
Gaonac’h, D., L’apprentissage précoce d’une langue étrangère, Hachette Education, 2006.
Guillaume, A., « La traduction : théories et pratiques, diachronie et synchronie, TICE ou non TICE ? », Texto!, 2007, vol. 12, n°3.
Guiora, A. Z., “The Dialectic of Language Acquisition” in Guiora, A. Z., (ed.), An Epistemology for the language sciences, The University of Michigan, 1984, pp. 3-12.
Narcy-Combes, J.-P., Didactique des langues et TIC: vers une recherche-action responsable, Ophrys, Paris, 2005.
North, X., « Introduction », in Dossier : Le plurilinguisme, Les langues modernes, 1, 2006, pp. 9-11.
Rapatel, P., “Il n’y a pas de choix binaire”, in Dossier : Le plurilinguisme, Les langues modernes, 1, 2006, pp. 12-18.
Ricoeur, P., Discours et communication, Carnets de l’Herne, 2005.
Rapport sur l’enseignement de l’anglais à l’école, par le groupe de travail sur l’enseignement de l’anglais à l’école élémentaire de la Société des Anglicistes de l’Enseignement Supérieur (2008).
Tomatis, A., Nous sommes tous nés polyglottes, Livre de Poche, Fixot, 1991.


[1] Grec, franc/germanique, norois, provençal, italien, arabe, persan, allemand, langues africaines, espagnol, portugais, langues de l’Inde, américaines, slave, turc, malais, anglais, néerlandais, roumain franco-provençal, hébreu, finnois, hongrois, créole, langues d’Extrême Orient. (Rapatel, 2006 : 12)
[2] Rapport sur l’enseignement de l’anglais à l’école, par le groupe de travail sur l’enseignement de l’anglais à l’école élémentaire de la Société des Anglicistes de l’Enseignement Supérieur (2008).